Il veut posséder l’Occident, mais il est lui-même possédé par le diable

Il veut posséder l’Occident, mais il est lui-même possédé par le diable

novembre 12, 2024 0 Par smoltag

Kamel Daoud, écrivain algérien couronné par le Prix Goncourt 2024 pour son roman Houris, se trouve aujourd’hui au cœur d’un débat qui divise. Bien que son œuvre ait été saluée en France, il a été exclu cette semaine du Salon international du livre d’Alger (SILA), un choix symbolique qui en dit long sur les tensions croissantes entre l’écrivain et son pays d’origine. Houris, qui aborde de manière poignante la guerre contre le terrorisme des années 1990, reste un sujet sensible et toujours tabou en Algérie. Cependant, ses propos sur la condition de la femme et sa vision de l’histoire de son pays ont suscité de vives critiques, certains l’accusant de falsifier la réalité et de servir une vision simpliste et déformée des événements.

L’absence de Daoud au Salon d’Alger : une rupture symbolique

Le choix de ne pas inviter Kamel Daoud au SILA, malgré la reconnaissance internationale qu’il a acquise, montre l’éloignement croissant entre l’écrivain et les milieux culturels algériens. Houris traite de la guerre contre le terrorisme des années 1990, un épisode douloureux de l’histoire récente de l’Algérie. Cependant, Daoud a fait le choix de qualifier ce conflit de « guerre civile », une expression que beaucoup considèrent comme incorrecte et réductrice. En effet, cette guerre fut avant tout une lutte contre les groupes terroristes islamistes qui ont semé le chaos dans le pays, et non un affrontement interne entre Algériens. Cette appellation, qualifiée de falsification historique par certains, reflète l’écart croissant entre la perception qu’a Daoud des événements et la version officielle de l’histoire algérienne.

Une vision caricaturale de la condition féminine

Outre ses interprétations controversées de l’histoire, Kamel Daoud a également provoqué l’indignation par ses propos sur la condition de la femme en Algérie. Selon lui, « la femme algérienne, dès 18 ans, est enfermée et cachée », une généralisation jugée erronée par de nombreux observateurs. Si les défis auxquels les femmes algériennes sont confrontées sont bien réels, réduire leur expérience à une telle simplification semble ignorer les progrès réalisés ces dernières années dans le pays. Cette vision de Daoud aligne sa critique sur une image stéréotypée de la société algérienne, qu’il semble vouloir vendre à un public occidental friand de récits de « libération féminine » dans le monde arabe.

Ce discours est perçu par certains comme une manière d’attirer l’attention sur lui en exploitant les attentes des cercles intellectuels français, qui valorisent des récits de dénonciation des inégalités dans les sociétés musulmanes. Pour ses détracteurs, Daoud ne fait que nourrir les préjugés occidentaux sans offrir une analyse plus nuancée des réalités sociales algériennes, allant jusqu’à effacer les voix de celles qui, en Algérie, luttent pour leurs droits et qui ont accompli des progrès notables, malgré les obstacles.

Daoud et les cercles macronistes : un rapprochement stratégique?

Le succès de Kamel Daoud en France ne se limite pas à sa reconnaissance littéraire ; il s’inscrit aussi dans un rapprochement avec certains cercles intellectuels et politiques proches du président Emmanuel Macron. Daoud a souvent pris la parole sur des questions comme la laïcité, les droits de l’homme et l’islam, des sujets au cœur des préoccupations politiques françaises. Ces prises de position l’ont aligné avec des valeurs qui trouvent un écho chez ceux qui promeuvent un modèle républicain strict, notamment la séparation totale de la religion et de la politique.

Ce rapprochement avec les milieux proches de Macron a renforcé l’image de Daoud en tant qu’intellectuel qui dénonce les défaillances des sociétés arabes, mais qui s’attire également les faveurs de l’Occident. Certains voient dans cette proximité un acte de compromission, une manière pour Daoud de « plaire » à un public français en adoptant une posture critique, parfois caricaturale, de son propre pays. Ses interventions sur la condition féminine et ses prises de position sur l’islam et la politique intérieure algérienne semblent parfois servir à valider un discours déjà formulé en Occident, celui d’une « modernisation » des sociétés arabes par le biais d’une critique radicale de leurs traditions.

Un pont ou une trahison?

En prenant ses distances avec certaines réalités algériennes, Daoud semble jouer un double rôle. D’un côté, il incarne pour une partie de l’opinion une voix libre qui ose critiquer les tabous de son pays. De l’autre, il est perçu par certains comme un auteur qui, en cherchant à plaire à un public occidental, sacrifie la complexité de son héritage culturel et historique. L’écrivain devient ainsi un « pont » entre deux mondes, mais un pont fragile, tendant parfois à se briser sous le poids des attentes contradictoires qu’il cherche à satisfaire.

L’absence de Daoud au Salon du livre d’Alger, alors même qu’il est couronné à l’international, symbolise cette fracture. Cette exclusion rappelle que l’écrivain, malgré son succès en France, reste une figure controversée dans son propre pays, où ses prises de position et sa manière de réécrire l’histoire sont loin d’être acceptées sans réserve. Le dilemme de Kamel Daoud est celui de l’intellectuel pris entre deux mondes : peut-il être un critique sincère et pertinent de son pays tout en étant absorbé par les attentes d’un public occidental qui ne voit souvent que les failles et les défauts de la société arabe?

En fin de compte, la question demeure : Kamel Daoud est-il un véritable porte-parole des mutations nécessaires de la société algérienne, ou un auteur possédé par un désir d’approbation extérieure, qui finit par perdre le fil de la réalité complexe de son propre pays?